Mambar Pierrette

Le portrait d’une couturière de Douala, inspirée par l’histoire de la cousine de la réalisatrice et incarnée par cette dernière. Dans son petit atelier, Pierrette travaille sans relâche pour nourrir sa famille. Sous la pluie incessante, dans une maison régulièrement inondée, la mère courage se débat, à tout instant, pour ne pas sombrer. Sa couture lui rapporte une misère, sa machine à coudre se grippe, une agression nocturne la déleste de son argent, la rentrée scolaire se profile à l’horizon. Tout déborde dans une existence où il faut – au sens propre – écoper tous les jours les problèmes de la veille, et composer avec la communauté.

« Après quatre documentaires, c’est le premier film de fiction de la cinéaste camerounaise Rosine Mbakam. Mais elle connaît intimement la réalité qu’elle met en scène. « C’est ma mère, ce sont mes tantes », dit-elle. « Mambar Pierrette, le personnage principal, c’est ma cousine », glisse-t-elle. « Le film est inspiré de sa propre vie, j’ai eu envie de faire du cinéma en regardant des gens et avec Mambar Pierrette, je voulais mettre ces gens au centre du cinéma » ».

Âgée de 44 ans, Mambar Pierrette espère que sa combativité inspirera d’autres femmes. « Ce film permet d’encourager d’autres femmes, ne pas attendre trop de leur mari ou du père de leur enfant, aussi d’être battante. La femme peut tout faire », lance l’intéressée. Et tourner dans ce film l’a beaucoup aidée. « J’ai pu prendre une boutique au bord de la route et j’ai aussi changé de machine, j’ai acheté aussi les grosses machines industrielles, ça, c’est grâce au tournage », raconte-t-elle. Quelquefois le cinéma peut vraiment changer la vie. »

Sophie Torlotin, RFI

Les Meutes

Dans les faubourgs populaires de Casablanca, Hassan et Issam, père et fils, vivent au jour le jour, enchaînant les petits trafics pour la pègre locale. Un soir, ils sont chargés de kidnapper un homme. Commence alors une longue nuit pleine de dangers et de poursuites à travers les bas-fonds de la ville et de sa banlieue…
Un thriller puissant sur fond de masculinité, de rapports à la religion et à l’autorité.

Les Meutes a obtenu le Prix du Jury dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2023.

« Ce que je ne voulais pas faire, c’était un film psychologique ou trop psychologique. J’avais envie qu’on ait une expérience physique. Quelque chose d’organique, de charnel. (…) Tout le travail qui a été fait, l’a été de façon très instinctive, très brute. C’est quelque chose qui s’est imprégnée dans le film et qui nous donne ce rapport très charnel avec l’histoire. (…) La masculinité est très présente dans le film. Même s’il y a beaucoup de choses qui se sont perdues à la traduction dans les sous-titres, les acteurs parlent de ça : être un homme, la virilité comme une qualité forcément positive. »

Kamal Lazraq interrogé par S. Forster, RFI 21/05/23

Les Filles d’Olfa

La vie d’Olfa, Tunisienne et mèvre de 4 filles, oscille entre ombre et lumière. Un jour, ses deux aînées disparaissent. Pour combler leur absence, la réalisatrice Kaouther Ben Hania convoque des actrices professionnelles et met en place un dispositif de cinéma hors du commun afin de lever le voile sur l’histoire d’Olfa et ses filles. Un voyage intime fait d’espoir, de rébellion, de violence, de transmission et de sororité qui va questionner le fondement même de nos sociétés.

Le film a obtenu ex-aequo le prix de l’Œil d’Or au festival de Cannes 2023.

Vous pensiez en faire une fiction ?
« Je suis passée par différentes étapes. Dans un premier temps, je me suis d’abord dit que j’allais filmer Olfa avec les deux filles qui lui restent pour exprimer l’absence des deux autres. J’ai commencé à les filmer en 2016 puis encore en 2017. Mais quelque chose ne marchait pas. Comment raviver les souvenirs sans les embellir, les transformer, sans se donner le beau rôle, sans édulcorer la vérité ? Comment réussir à convoquer ce qui a eu lieu et qui n’est plus là ? Comment affronter la vérité de son propre passé des années après ? Mais le plus problématique selon moi, c’est la façon dont Olfa jouait un rôle. À partir du moment où j’avais allumé ma caméra, elle s’est mise à jouer un rôle. J’ai dû arrêter le tournage, car j’ai fini par comprendre que j’allais tomber dans le piège qu’elle me tendait.
Olfa avait été formatée par les journalistes. Elle jouait – avec un grand talent de tragédienne – le rôle de la mère éplorée, hystérique, accablée de culpabilité. La plupart de ces reportages n’autorise pas à explorer les différentes dimensions d’un individu… Or, creuser les contradictions, les sensations, les émotions demande un temps que les journalistes n’ont pas. C’est le rôle du cinéma d’aller explorer ces zones-là, ces ambiguïtés de l’âme humaine. »

Extrait du dossier de presse : question à Kaouther Ben Hania

La Dernière Reine

Algérie, 1516. Le pirate Aroudj Barberousse libère Alger de la tyrannie des Espagnols et prend le pouvoir sur le royaume. Selon la rumeur, il aurait assassiné le roi Salim Toumi malgré leur alliance. Contre toute attente, une femme va lui tenir tête : la reine Zaphira. Entre histoire et légende, le parcours de cette femme raconte un combat, des bouleversements personnels et politiques endurés pour le bien d’Alger.

Comment est né votre film La Dernière Reine ?
« La découverte au travers d’un livre sur l’Algérie et ses personnages célèbres de Zaphira, l’épouse d’un roi, dont l’histoire oscillait entre légende et réalité. Très vite je me suis aperçue que ce personnage fut contesté puis soutenu à travers les siècles par historiens et chroniqueurs. À chaque fois qu’il est question d’elle, il y a un immense désir mêlé d’une remise en question de son existence. Je me suis intéressée à ce “nœud” comme une possibilité de faire surgir la question de l’effacement des femmes dans l’Histoire et la force d’évocation de la légende à une époque cruciale et jamais représentée de l’histoire d’Alger. Qu’elle soit légende ou réalité, cette femme continue de marquer l’imaginaire des Algériens… »

Dossier de presse, entretien avec Adila Bendimerad

«Rarement un film algérien aura autant embrassé les nœuds de l’histoire, tant intime que politique, au cœur d’une fresque majestueuse, où la douleur relève de la beauté. D’une ampleur romanesque inouïe, où l’éclat du classicisme côtoie, parfois dans la même scène, le même plan, la modernité la plus aiguisée, La Dernière Reine d’Adila Bendimerad et Damien Ounouri est surtout une œuvre en résonance profonde avec ce qui se joue actuellement en Algérie, mais aussi pour tout un chacun travaillé par la question de l’engagement. » 

Nadia Meflah, Bande à part

Harka

Ali, un jeune Tunisien rêvant d’une vie meilleure, vit seul en vendant de l’essence de contrebande au marché noir. À la mort de leur père, il se retrouve responsable de ses deux sœurs cadettes, livrées à elles-mêmes et menacées d’expulsion de la maison familiale. Face à cette situation et aux injustices auxquelles il est confronté, Ali s’éveille à la colère et à la révolte. Celle d’une génération qui, plus de dix ans après la révolution, essaie toujours de se faire entendre…

Le comédien Adam Bessa, interprète du rôle d’Ali, a obtenu un Prix d’interprétation dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes 2022.

« Le film a été tourné à Sidi Bouzid, la petite ville tunisienne d’où est parti le Printemps arabe, le 17 décembre 2010, avec l’immolation de Mohamed Bouazizi, marchand ambulant, devant le siège du gouvernorat. Plus de 10 ans après, que reste-t-il de ces moments d’espoir pour des populations vivant chichement, entourées par l’injustice et la corruption ? Pas grand chose, semble-t-il, et c’est ce que nous montre Harka ! Harka, un mot arabe qui (…) signifie “brûler” mais désigne aussi, en argot tunisien, un migrant qui traverse illégalement la Méditerranée en bateau. Deux significations qui collent parfaitement avec le film : d’un côté, une histoire inspirée par Mohamed Bouazizi, de l’autre un personnage principal qui rêvait de partir vers l’Europe. »

Jean-Jacques Corrio, pour critique-film.fr

Goodbye Julia

En 2010, à la veille de la partition du Soudan, Mona, ex-vedette de la chanson nord-soudanaise, cause indirectement la mort d’un Sud-Soudanais. Se sentant coupable, elle engage Julia, sa jeune femme, comme domestique. Une étrange amitié va lier la riche Soudanaise musulmane du Nord, à la jeune Soudanaise chrétienne du Sud, au gré de l’évolution de la situation politique.

Goodbye Julia a obtenu le Prix de la Liberté dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2023.

« La première chose qui m’a motivé à écrire a été le résultat du référendum : en 2011, lors du référendum sur l’indépendance du Soudan du Sud, près de 99 % des électeurs se sont prononcés en faveur de la sécession. Pour moi, ce fut comme une révélation (…). Il est impensable qu’une nation entière veuille faire sécession. Après avoir réfléchi, le problème était clair : le racisme entre le nord et le sud du pays (…). Le Soudan souffre de tribalisme, de racisme et de préjugés, et de toutes sortes de choses qui éloignent les gens les uns des autres et ne les rapprochent pas. (…).
Le film évoque aussi le patriarcat dans ma société (…). Bien qu’il y ait un aspect personnel, le film était aussi une tentative de réveiller les Soudanais avant qu’une autre guerre n’éclate. Peut-être que je suis arrivé un peu trop tard, car la guerre a déjà éclaté… Mais c’est pour cela que j’ai fait ce film. »

Mohamed Kordofani interrogé par S. Forster, RFI 20/05/23

L’Envoyée de Dieu

Le film retrace le parcours de Fatima, une fille âgée d’une dizaine d’année, kidnappée par des terroristes et embrigadée pour commettre sa première et unique opération kamikaze.Déposée sur le marché d’un village, elle porte une ceinture d’explosifs minutée à 10 minutes pour tuer les ennemis de Dieu. Mais s’est sans compter avec la force mentale de la jeune fille, d’autant queFatima réalise qu’elle est dans son village, sur le marché même où sa mère vend.

Le film a l’allure d’une enquête policière avec beaucoup de suspense, et tout est minutieusement conduit. Les images, le son et le rythme participent pleinement au récit filmique. A travers son récit, la réalisatrice interroge la société sur sa responsabilité face aux enjeux du vivre ensemble dans la tolérance. Elle pose surtout la question de l’engagement pour la liberté, du choix à s’autodéterminer, même dans les moments difficiles.

Le film a obtenu une mention dans la catégorie courts-métrages de fiction et quatre prix spéciaux au Fespaco 2023.

L’Envoyée de Dieu est un film de conscientisation d’une grande portée morale. Amina Abdoulaye Mamani a réalisé un film sur une thématique très actuelle, le terrorisme qui s’étend de manière progressive dans les pays du Sahel avec son lot de déplacés, de désolation, de pillages. Une situation qui crée aussi un climat de méfiance et de défiance entre les communautés et les pouvoirs. Mais où sont donc les États africains?

Astel

Nous sommes en octobre, c’est la fin de la saison des pluies au Fouta, une région isolée au nord du Sénégal. Astel, treize ans, accompagne tous les jours son père dans la brousse. Ensemble, ils s’occupent de leur troupeau de vaches. Mais un jour, en plein désert, la rencontre entre la jeune fille et un berger vient bouleverser le quotidien paisible entre Astel et son père.

Les questionnements d’une jeune fille sur l’attitude de son père qui décide de lui faire comprendre que, devenue une femme, sa place reste auprès des femmes. La pudeur est de mise dans la société peule où père et fille n’abordent pas ensemble des sujets jugés tabous. Bien nouer son pagne,par exemple,n’est pas seulement paraître correcte, mais signifieaussi l’abstinence jusqu’au mariage. C’est ainsi avec une grande économie de dialogues qu’Astelaborde le patriarcat, l’amour, le respect, l’éducation et la sororité.
La tradition contre la passion ? Le poids social qui pèse sur la femme sera difficile àporter dans un monde émancipé. Femmes, devrons-nous nous résigner ou être responsables et libres de nos choix ?

Mbaye Laye Mbengue, Ramatoulaye Sy, Babacar Sy Sèye, AfriCiné

Déserts

Mehdi et Hamid travaillent pour une agence de recouvrement à Casablanca. Les deux pieds nickelés arpentent des villages perdus du grand Sud marocain pour soutirer de l’argent à des familles surendettées… Un jour, dans une station essence plantée au milieu du désert, une moto se gare devant eux. Un homme est menotté au porte-bagage, menaçant.

Film en sélection à la Quinzaine des Cinéastes, Cannes 2023

L’écriture a souvent recours aux ellipses…
« J’aime laisser des trous, car ça laisse la possibilité au spectateur de faire fonctionner son imagination. Pour la séquence finale, j’ai ainsi tenu à rester dans l’absence de réponse. Il y a deux ruptures et points de bascule dans le film. L’arrivée de l’évadé, qui entre dans le cadre à contresens, change la donne, dans le récit comme dans la mise en scène… Elle est née de mon désir de western. Puis, une séquence plus formelle, improvisée au tournage, où la voiture roule dans la poussière et disparaît dans cette matière brumeuse dont sont faits les songes. Donner des lettres de noblesse à des plans considérés par la grammaire cinématographique dominante comme des plans de coupe banals, c’est mon engagement formel et esthétique qui rejoint l’engagement politique du film. De la première à la seconde partie du film, on s’éloigne petit à petit du bruit du monde… »

Entretien de Faouzi Bensaïdi par Xavier Leherpeur

Banel et Adama

Banel et Adama s’aiment et vivent dans un village éloigné au nord du Sénégal. Du monde, ils ne connaissent que ça, en dehors rien n’existe. Mais l’amour absolu qui les unit va se heurter aux conventions de la communauté. Car là où ils vivent, il n’y a pas de place pour les passions, et encore moins pour le chaos.

Sélection officielle Cannes 2023

« Seul premier long-métrage en compétition officielle à Cannes cette année, Banel et Adama, de Ramata-Toulaye Sy, mêle le conte et la tragédie, pari risqué qui court mille fois le péril de la joliesse et du dialogue appliqué (ah là là, c’est compliqué d’invoquer légèrement le destin) mais le déjoue, parfois in extremis, grâce à un personnage féminin dont la grâce cache à la fois un secret dévorant et une force insoupçonnable. Il en faut quand on prétend s’opposer à la famille, aux traditions, à la répartition genrée des tâches. Avec Adama, qui a décliné le rôle de chef lui revenant de droit, ils projettent de s’installer à l’orée du village, dans une maison ancienne ensevelie sous le sable. Mais à mesure qu’ils l’exhument, la sécheresse frappe, les bêtes meurent, et bientôt les gens… Tourné en langue peule, avec des acteurs non professionnels, dans la région rurale du Fouta, le film, sans doute un peu fragile pour la bataille cannoise, surprend dès lors qu’il semble dérailler. Quand Banel, que l’on croyait inquiète, devient inquiétante et dégomme un oiseau perché sur une branche. Ou se met à dézinguer des lézards au lance-pierre, avant de les jeter au feu. Au temps pour la bluette parfumée au féminisme, le danger rôde et il s’appelle amour fou. »

Marie Sauvion, Télérama