Les chroniques de Xavier

Pour la 12ème fois, Visions d’Afrique a parfaitement rempli son contrat en comblant tous les amoureux du cinéma et/ou de l’Afrique qui s’étaient donné rendez-vous entre le 20 et le 26 octobre à St Pierre d’Oléron et à Marennes : une ambiance toujours aussi chaleureuse, une programmation variée et de très grande qualité et des invités passionnés et passionnants, accessibles et convaincants. Un cocktail concocté de main de maître par Gérard Lacognata -loué soit-il…

Un environnement propice, des circonstances favorables

Le temps était clément, et a permis aux festivaliers de profiter des délices de l’île, et de continuer sur les plages, à l’ombre du phare Chassiron ou devant une friture d’éperlans, les débats commencés à la sorti des salles obscures. La magie de Visions d’Afrique, c’est aussi cette « unicité de lieu », l’intimité que nous offre Oléron hors saison, où nous avons l’impression que tout le monde, comme nous, est entre deux séances de cinéma.

Les échanges entre invités et festivaliers sont aussi rendus possible par la qualité de l’accueil des bénévoles du LOCAL, dont certains prennent en charge les transports des invités (pas une mince affaire!), quand d’autres organisent les repas proposés entre deux séances…

Cerise sur le gâteau, le plaisir des invités de l’année à voir leur effigie rejoindre la si belle galerie de portraits des invités de Visions d’Afrique qu’a réalisée au fil du temps Odile Motelet, un peu comme les empreintes de stars de Hollywood boulevard, en plus beau !

Côté production cinématographique, la pandémie semble avoir aussi favorisé le festival : beaucoup de sorties de film ont été différées par les restrictions sanitaires et, par un effet de « chasse-neige », le choix de films récents pour la programmation était vaste et de très bonne qualité.

Le Fespaco, sans doute mal informé du calendrier de Visions d’Afrique, avait choisi d’organiser son édition 2021 -que le Covid l’avait forcé de décaler- en même temps que la nôtre. Seul réel inconvénient pour nous, l’absence de Thierno Dia, qui anime traditionnellement nos débats avec Catherine Ruelle, et du cinéaste Philippe Lacôte. La programmation de Vision d’Afrique en 2021 a été bâtie cette année sans connaître les étalons distribués à Ouagadougou; elle n’en a pas souffert !

Les réalisateurs invités et leurs films

L’invité d’honneur, Merzak Allouache nous a présenté 5 de ses 23 films, qui relatent, documentent, l’histoire sociale de l’Algérie depuis les années 1970. Ses films adoptent des styles très variés, répondant à l’ambiance de la période.

En 1977, c’est une comédie légère qui jette un regard tendre sur le macho timide Omar Gatlato dont la joie de vivre n’est gâchée que par son incapacité à aborder enfin la fille qui le fait rêver. Il est drôle, moyennement honnête, travaille tranquillement dans l’administra-tion, va au cinéma avec ses amis… Un joli voyage insouciant dans une époque assez douce pour à Alger.

1993, changement total d’ambiance avec Bab El Oued City, film prémonitoire de la montée de l’islamisme violent. Le film commence sur un ton de comédie, quand un jeune démonte le haut-parleur placé sur son toit pour la diffusion des prêches de l’imam ; le crescendo de la violence qui s’en suit annonce les années de plomb qui suivront de quelques mois…

En 2009, avec Harragas, Merzak Allouache choisit de montrer les jeunes algériens qui essayent, au risque de leur vie, de fuir leur pays où ils ne parviennent pas à imaginer leur avenir.

En 2015, la vision du réalisateur sur son pays n’a pas gagné en optimisme : Madame Courage, nous fait rencontrer peut-être un neveu d’Omar Gatlato qui, après l’échec des politiques économiques algériennes, vit dans un bidonville de Mostaganem, se drogue et paye sa drogue avec des petits vols à l’arraché. Mais, comme son oncle, il est capable de tomber amoureux…

Merzak Allouache nous a enfin présenté Vent Divin, un film non encore projeté sur les écrans commerciaux en France. Deux jeunes djihadistes, elle solide, aguerrie et déterminée, lui, plus fragile, se retrouvent avant l’attaque d’un site pétrolier. La majesté des décors (noir et blanc, écran panoramique, la magie des palmeraie et des dunes de la Sebkha de Timimoun) s’oppose aux angoisses des deux kamikazes, des deux « vents divins ».

Le échanges entre les festivaliers, les lycéens du Lycée Merleau-Ponty de Rochefort et Merzak Allouache ont été riches et passionnants, à l’image de son cinéma, de son amour inquiet pour son pays et de son désir de le faire partager.

Un autre de ses films, Les Terrasses, avait été projeté à Visions d’Afrique en 2015, mais la filmographie de Merzak est très vaste, variée et insuffisamment projetée. À noter en particulier, un documentaire fiction Enquête au paradis (2016 ), le Repenti (2013)et, Normal (2012). Il serait dommage de ne pas les voir et faire voir…

En 2020, la « pandémie » et la suspension des transports internationaux nous avaient empêché de rencontrer Dieudo Hamadi, dont nous avions vu Kinshasa Makambo et Atalaku1. Cette année, il était avec nous en « visio » (parfois, c’est beau le progrès…) pour commenter En route pour le milliard, le périple de 2000 km sur le fleuve Congo d’une dizaine de victimes d’une guerre oubliée et leurs démarches à Kinshasa pour obtenir une prise en charge. Épuisant, fort, et convainquant. Dieudo parvient à nous faire dépasser la gène et la commisération que nous inspirent au départ les infirmes pour éprouver assez vite une réelle empathie à leur égard, pour être sensibles à leur charme.

Les échanges avec Dieudo Hamadi, intéressants et denses, nous ont appris que la sélection du film à Cannes en 2020 a conduit le gouvernement congolais à dédommager les victimes de la guerre des six jours mais que, malheureusement, l’indemnité, versée sans aucune précaution, s’est évaporée avant d’être partagée… Triste !


1 Après l’excellent « Maman colonelle » en 2018


Olivier Delahaye, un grand habitué de Visions d’Afrique2, nous présentait cette année un très joli film qu’il a produit, La caméra de bois, réalisé par le sud-africain Ntshavheni Wa Luruli.

Ce film, dont il a tiré une novélisation, conte les parcours parallèles de deux gamins des townships au moment de la chute de l’apartheid, l’un choisira la violence, son pote choisira de s’exprimer avec une caméra. Une jolie fable, de beaux personnages, mais aussi un éclairage riche sur cette période en Afrique du Sud.

Les autres films projetés

En hommage à la cinéaste tunisienne Moufida Tlatli, disparue en février 2021, Visions d’Afrique projetait Les silences du palais (1994). De très belles images, l’ambiance un peu magique et trouble d’un palais princier dans la Tunisie au milieu des années 1950, le charme voluptueux et rieur des jolies servantes et la place ambiguë qu’y tient la jolie Alia, fille née d’amours ancillaires et qui semble condamnée à rester, comme sa mère, une proie des « puissants », un objet de plaisir que l’on épouse pas. Moufida Tlatli n’a bien sûr aucune complaisance avec les prédateurs issus des élites successives, mais elle montre des victimes parfois consentantes de leurs abus, se concurrençant pour recevoir les « attentions » des maîtres. Une domination consentie. Troublant…

Les amateurs de cinéma tunisien auront senti une parenté entre ce film et « Les secrets » de Raja Amari (2010), qui pourrait être une suite au film de Moufida Tlatli, et surtout où la maison elle-même est un personnage à part entière.

Parmi les 10 autres films projetés, Feathers de l’égyptien Omar El Zohairy est celui qui a provoqué le plus grand nombre de commentaires, souvent très « clivés ». Un scénario surréaliste improbable que n’auraient pas osé les Monty Python, un décor sordide de friches industrielles réellement sales et polluées, un humour tordu au troisième ou au quatrième degré, un message peut-être féministe mais terriblement nuancé. Le film a obtenu le prix de la critique à Cannes en 2021… Il y a en effet de quoi s’exprimer pour des critiques. À mon sens, un délice très-trop amer.

Haut et fort de Nabil Ayouch a quant à lui recueilli l’unanimité. Un simili-docu nous entraîne dans une école de musique un chouïa alternative dans un quartier difficile de Casablanca, à la création d’un cours de hip-hop. Pour beaucoup de spectateurs, c’est une révélation de ce qu’est le RAP, ce qu’il signifie et à quoi il sert, et ils ne peuvent qu’aimer ça… Plein d’une très belle énergie ; une bande-son à faire bondir un cul-de-jatte. Seul bémol, ce film n’est pas un docu comme il nous le fait un peu trop croire. Pas grave, ça décoiffe tout en remettant certaines idées à leur place.

Deux excellents films ont été l’occasion de retrouvailles avec la production de deux anciens invités, qui nous avaient séduits.


2 Il était venu en 2015 présenter Soleils, qu’il avait coréalisé avec Dani Kouyaté


En 2013, le marocain Mohcine Besri nous avait présenté « Les Mécréants ». En 2021, il nous a proposé Une urgence ordinaire. Du cinéma social de haute qualité, poétique, dramatique, militant, très bien filmé. Le combat d’un couple de pauvres ruraux pour faire soigner leur enfant, face à la cupidité et aux excès du néolibéralisme appliqué au secteur de la santé. Belle tension narrative, des personnages convaincants, de très belles images notamment successivement de deux couples essayant de dialoguer sans se regarder. Un film qui mériterait un beau succès commercial…

Philippe Lacôte nous avait présenté en 2013 Run qui nous montrait, vus de l’intérieur, les  »patriotes », partisans de Laurent Gbagbo ; il nous avait alors promis de revenir avec un film concernant des supporters pro-Ouattara. Il a presque rempli sa promesse avec La nuit des rois qui nous raconte l’arrivée d’un ancien « microbe »3 à la prison de la MACA. Il y est contraint, tel Shéhérazade , de raconter à l’assemblée des prisonniers une histoire sans fin… Une ambiance hallucinée, faite de successions de récits légendaires et picaresques, de rites ésotériques, de mimes dansés, dans le cadre fébrile d’une prison gérée par ses prisonniers. Le film méritait mieux que le prix du Meilleur décor au Fespaco 2021 ! Pour tenir pleinement sa promesse, Philippe Lacôte, qui n’avait pu se joindre à nous du fait du Fespaco, se doit de revenir nous voir en live, avec son prochain film…

Le père de Nafi, du sénégalais Mamadou Dia nous conduit en pays peuhl, aux confins du Sénégal du Mali et la Mauritanie où la menace islamiste est insidieuse, instrumentalisant et nourrissant les rancoeurs et les ambitions personnelles au sein d’un village. Le film décrit clairement, avec le personnage d’un imam très modérée, les enjeux des diktats religieux dans l’intimité d’une communauté villageoise. On y trouve tout à la fois une analyse plus précise et précieuse que celle fournie par le « Timbuktu » d’Abderrahmane Sissako, et une tragédie transposant le mythe de Caïn et Abel, référence communes à la bible et au Coran.

Une histoire d’amour et de désir de Leyla Bouzid nous conte les premières amours d’un jeune franco-algérien de la 2ème génération et une étudiante juste arrivée de Tunisie. Ils ont, fatalement, des attitudes culturelles différentes, le jeune garçon restant très « coincé » par le regard des autres, dans la banlieue -certes pacifiée- où il vit avec ses parents.

Le film viser essentiellement les obstacles que rencontre un « jeune des banlieues » pour sortir de la trajectoire découlant de ses origines et du quartier où il vit, et l’atout majeur de la culture pour y parvenir.

Très sensible et sensuel, joliment filmé autour de personnages attachants et convaincants.

Trois autres films étaient présentés : Lingui de Mahamat Saleh Haroun a donné l’occasion aux amoureux du Tchad de retrouver N’Djaména, Souad de Aytem Amin qui vérifie que les méfaits des réseaux sociaux sur la vie des jeunes sont aussi sensibles en Égypte que chez nous. Le bonnet de Modibo de Boubacar Diallo, une comédie burkinabée sans prétention, qui essaie avec une certaine naïveté de replacer dans la « modernité » les pouvoirs locaux traditionnels.


3 Jeunes gerçons enrôlés par le clan Ouattara pendant les années 2000 pour transporter armes et munitions dans Abidjan.


Les rencontres littéraires

Pour la deuxième fois, les rencontres littéraires ont « envahi » le cinéma Eldorado, l’espace d’une matinée, permettant un échange avec un public plus large qu’auparavant. Cette organisation est appréciée de tous, d’autant plus qu’elle ne concurrence en rien les rencontres qui continuent de se dérouler dans les médiathèques.

Bernard Magnier n’a pas son pareil pour faire dialoguer des auteurs qui, de prime abord, ne semblent pas avoir énormément en commun.

Il a rassemblé pour nous Wilfried N’Sondé, auteur de cinq romans « Le coeur des enfants », « Berlinoise », « Le silence des esprits », »Un océan, deux mers, trois continents » et « Femme du ciel et des tempêtes », et Chadia Loueslati, autrice de romans graphiques (Famille nombreuse, Rien à perdre, Nos vacances au bled) et de plusieurs livres de « littérature jeunesse ».

Les échanges ont été riches, à l’image de leur démarche à chacun, faite d’introspection personnelle et familiale pour Chadia, lancée à la découvertes de mondes pour Wilfried.
De belles lectures en perspectives.

Le barde malouin l’a superbement dit,
Comme chaque année depuis 12 ans,
Not’ cher Gérard, tu nous a régalés (…)
Ce festival tu l’as bien peaufiné (…)
Comme les rois mages en Galilée
que de cadeaux vous nous avez apportés,
Gérard, Merzak, Catherine et David,
Philippe et tous ceux qui ont aidé…

Merci à tous, merci, merci et à l’année prochaine

En fait il faudrait clore ce papier avec un générique de fin de film. Merci donc à Gérard Lacognata pour l’idée générale, la programmation, les finances et l’organisation des détails, merci à Bernard Magnier pour la réalisation des rencontres littéraires, depuis le choix des intervenants jusqu’au débat, merci à Catherine Ruelle, Thierno Dia Ibrahima – même s’il était physiquement absent cette année- et à son remplaçant le réalisateur David Pierre Fila pour les pistes de programmation, les commentaires et l’animation des débats, merci aux invités Merzak Allouache, Olivier Delahaye, Chadia Loueslati, Wilfried N’Sondé et, en visio, Dieudo Hamadi, pour la qualité de leurs oeuvres et leur disponibilité pendant le festival, merci à nos hôtes Philippe Chagnaud et Yvonnic Wahl, pour leurs idées, leur accueil et leur disponibilité, merci à l’association le LOCAL pour son appui logistique, et merci aux Communes de St Pierre et de Marennes-Hiers-Brouage, aux Communautés de communes de l’île d’Oléron, à celle du bassin de Marennes et à la Région Nouvelle-Aquitaine pour leurs appuis sans lesquels rien ne serait possible.

Vivement l’automne 2022 !

_Xavier Blanchard