Visions d’Afrique 2020, une oasis dans cette année « problématique ».
Comme chaque année depuis 10 ans, il fallait être à Oléron juste avant les vacances d’automne. Encore une fois, le beau temps, la qualité des huîtres et du colombard n’avaient en fait pas grand chose à y voir, mais bien plus cette ambiance si chaleureuse que Gérard La Cognata et sa bande ont su créer à Visions d’Afrique, et qui ne faiblit ni avec le temps qui passe, ni avec les circonstances peu propices, bien au contraire.
La pandémie avait bien essayé de gâcher la fête et a empêché les réalisateurs Dani Kouyaté et Dieudo Hamadi de nous rejoindre. Mais elle n’a pas découragé les festivaliers, au moins aussi nombreux que les autres années : quelques jours avant que le débat sur « l’essentiel » ne déchire les (beaux) parleurs, la crainte d’un nouveau confinement nous a tous poussés vers les salles obscures. L’occasion offerte par Visions d’Afrique était trop belle.
La programmation était parfaitement réussie, avec 19 films projetés en salle, et un mélange des genres particulièrement riche : cinq (un record !) documentaires, trois « classiques du cinéma », un polar, trois thrillers, trois films historiques, cinq films de société, deux joyeuses comédies, sept drames et un conte philosophique…
Bien plus, ces films, dans leur diversité, nous ont montré que nous avions encore beaucoup à apprendre sur l’Afrique, sur l’histoire récente de la Namibie (La Ligne Blanche), sur celle de l’Éthiopie (le Figuier), sur la culture soufi dans certaines régions du Soudan (Tu mourras à vingt ans), et sur les akas de la foret du bassin Congo (Makongo).
De nombreux spectateurs ont choisi de revoir à Oléron des films qu’ils avaient déjà vu : deux films de Dani Kouyaté projetés à Visions d’Afrique en 2015 et 2017 (Soleils, le superbe Tant qu’on vit), et Camille de Boris Lojkine, qui a eu un bel accueil commercial en 2019.
Parmi leurs « découvertes », le film préféré des festivaliers (1) est « Makongo », un documentaire centrafricain de Elvis Sabin Ngaïbino qui nous emmène à la suite de deux pygmées akas : visite de campements pygmées, alphabétisation, récolte de chenilles, premier contact avec la « grande ville ». Troublant, digne et riche. Un monde dont on perçoit toutes les fragilités. Merci à Boris Lojkine de nous avoir présenté ce film.
Vient ensuite une comédie dramatique, Myopia, de Sanaa Akroud, qui nous emmène dans les pas de Fatem, depuis son village perdu en montagne jusqu’à la « grande ville ». Elle doit y faire réparer les lunettes de l’Imam pour qu’il puisse continuer à lire aux femmes du village, toutes analphabètes, les lettres de leurs maris, partis loin chercher du travail. Plein de poésie, un personnage magnifique, un message fort sur les clivages nés de « déserts » médicaux et éducatifs…
Troisième lauréat, un documentaire qui frise la comédie : « 143 rue du désert » de Hassen Ferhani : la chaleureuse Malika nous accueille dans son pauvre restaurant posé en plein désert algérien au carrefour des N1 et N51, à 350 kms au sud de Ghardaïa ; elle joue avec la caméra, sans la regarder, nous raconte toutes les petites histoires de ses habitués, qui font sa propre histoire. Drôle, plein de charme mais aussi de nostalgie : même là, le « progrès » poursuit son œuvre destructrice menaçant le restaurant…
Les festivaliers ont également « nominés » ex aequo quatre films :
- le souriant Supa modo de Likarion Wainaina, une jolie fable kényane sur la magie du cinéma,
- le nostalgique et facétieux Talking about trees de Suhaib Gasmelbari, un « Buena Vista Social Club » cinématographique et soudanais,
- le drame social et historique « La ligne blanche » de Désirée Kahikopo, une
tragédie très théâtrale sur des amours interdits aux prémices de la lutte
antiapartheid en Namibie, - le très lumineux Tant qu’on vit où Dani Kouyaté évoque le métissage culturel.
Juste derrière dans le choix des festivaliers, vient le « classique du cinéma », Keïta !
L’héritage du griot où le même Dani Kouyaté fait le pont entre la tradition des griots et la vie moderne.
En l’absence de Dani Kouyaté, Binda Ngazolo son acteur principal de Soleils, a eu avec le public un dialogue à la fois poétique et philosophique. Sa belle « présence pĥysique » frôlait l’art lyrique et il a convaincu plus d’un à la charte du Mandé…
Mais Visions d’Afrique, c’est aussi de la littérature. Cette année, nous avons pu y rencontrer le camerounais Christian Epanya auteur de BD et illustrateur, avec notamment ses éternels taxis-brousse, et Sofia Aouine ancienne journaliste et auteur du joli « Rhapsodie des oubliés » qui raconte comment Barbès « nous entasse les uns sur les autres comme dans un grand bain d’amour mais personne ne se parle ». Échanges riches dont, malheureusement trop peu d’entre nous ont pu bénéficier. L’organisation de rencontres littéraires à l’Eldorado à une heure « de grande audience » serait certainement un plus…
Malgré le-a Covid et le confinement, Visions d’Afrique 2020 aura été un excellent cru, dont nous aurons bien profité, une récréation dans cette annus horribilis.
Je crois que tout le monde va bien maintenant ; tout est donc presque pour le mieux dans le moins pire des mondes.
Que soient loués et remerciés les artisans de notre culture et de notre joie retrouvée chaque année, Gérard La Cognata au premier chef, l’association LOCAL qui gère les salles de St Pierre d’Oléron et de Marennes où nous sommes si bien accueillis, Bernard Magnier qui organise et excelle dans l’animation des rencontres littéraires, Catherine Ruelle et Thierno Ibrahima Dia qui se sont relayés pour animer les débats sur les films, mais aussi à tous les festivaliers qui cultivent avec soin le plaisir à retrouver d’année en années.
Vivement l’automne 2021, et la 12ème édition de Visions d’Afrique.
Xavier Blanchard 15/12/2020
3 LES CHOIX DES FESTIVALIERS 2020
L’enquête organisée au cours de la 11° édition par Xavier Blanchard n’a
touchée qu’un nombre limité de spectateurs (on fera mieux en 2021 ..).
Elle fournit cependant des indications interessantes
Les 7 films préférés
1 ) « Makongo »
2) « Myopia »
3) « 143 rue du désert »
4) « Supa Modo », « Talking about trees », « Tant qu’on vit » et « La ligne Blanche »
Les autres
8) « Keïta », « Un fils »
10) « Ouaga saga », « Le figuier »
12) « Camille », « Soleils »
14) « Atalaku », « Le choix d’Ali », « Sia, le rêve du python », « Tu mourras à vingt ans »
18) « Abou Leila », « Kinshasa Makambo »
(1) Selon le sondage « papier » accessible aux festivaliers à la sortie des salles
(2) « Tant qu’on vit » avait déjà été présenté à Visions d’Afrique en 2017