les films préférés des festivaliers

Les films préférés des festivaliers au cours des 10 premières éditions de Visions d’Afrique

Le sondage

En avril 2020, un sondage avait été lancé pour déterminer quels étaient les films préférés des festivaliers parmi les 147 qui avaient été présentés en 10 ans de Visions d’Afrique.

Lancé au début de ce que les historiens appellent déjà le « premier confinement », ce sondage a été pour les 106 festivaliers consultés l’occasion de briser leur isolement et de se remémorer de très bons souvenirs et, parfois, de débattre par mail avec d’autres afrocinéphiles.

32 % d’entre eux ont accepté de répondre, exprimant 160 choix (chacun pouvait citer cinq films au maximum) portant sur 59 films et 52 réalisateurs.

Les films projetés au cours des éditions les plus récentes du festival ont bien sûr été favorisées dans ce sondage, puisque leur souvenir était plus vif, mais surtout le nombre de festivaliers présents aux premières éditions, encore confidentielles, était bien moindre que vers la fin de la décennie. À titre d’illustration, les festivaliers n’ont mentionné que 17 films projetés au cours de 5 premières éditions contre 42 pour les 5 suivantes.

La présence des réalisateurs à Visions d’Afrique a aussi influé sur le choix des festivaliers. Ceux d’entre eux qui ont eu la chance de les rencontrer se souviennent nécessairement du charisme de Yousri Nasrallah, du charme de Raja Amari et de Pocas Pascoal, de la truculence de Jean Odoutan, des convictions de Dani Kouyaté et de Newton Aduaka, pour ne citer qu’eux…
Même si ce sondage n’a pas d’ambition de classement, ses résultats n’en demeurent pas moins significatifs. C’est aussi le support de bons souvenirs…

La liste des 59 films figure en annexe ; pour chacun d’entre eux, est indiqué sa disponibilité en DVD ou en VOD, pour permettre des « séances de rattrapage ».

Les 13 films du « top 10 »

Adam, de Myriam Touzani

« Adam » de Maryam Touzani, est un des deux films le plus souvent cité par les festivaliers. Ce très joli film de femmes, gourmand, délicat et généreux raconte la rencontre d’Aba, une veuve durcie par la vie, résignée à son sort, avec Samia, une jeune femme enceinte abandonnée. Leur relation, d’abord rude, s’enrichit grâce à l’entremise de la fille d’Aba et, surtout, au plaisir partagé de la cuisine et de la volupté du pétrissage de la pâte. Trois personnages très attachants, des scènes filmées au plus près qui nous amènent dans leur intimité, une belle lumière rappelant les peintres hollandais…Un très beau moment de cinéma.

‘’Rafiki’’ de Wanuri Kahiu, est donc l’autre film le plus
souvent cité. Ce Roméo et Juliette moderne et lesbien est bien plus qu’un film sur l’homosexualité. Il cherche avant tout et réussit à montrer la modernité et le dynamisme du Kenya, la vie et la culture de jeunes urbains africains, le tout en s’appuyant sur le thème intemporel des amours impossibles.
Le film est un chef d’œuvre d’écriture cinématographique,
qualité somptueuse de la photo (portraits, paysages urbains, escaliers, ciels mauves en harmonie avec la coiffure d’une héroïne…), rythme des plans, richesse des images etc.. Ce film a obtenu un joli succès commercial ; il devrait avoir une belle et longue vie sur les écrans.

« Papicha » de Mounia Meddour est le troisième film préféré des spectateurs sur 10 ans de Visions d’Afrique ; il nous ramène à Alger vers 1991, aux prémices de la décennie noire. Une étudiante de 18 ans, persuade l’administration de l’université et quelques unes de ses consœurs d’organiser un défilé de mode, au sein de la cité. Les réactions sont bien sûr négatives et la joliesse de cette bande de « papichas » (« jolies gamines gentiment délurées ») sera confrontée à une violence qui était jusqu’alors inimaginable…

Au quatrième rang, les festivaliers ont placé « Félicité », « Jusqu’à la fin des temps », « La porte du Soleil », « Satin Rouge » & « Yomeddine ».

La « Félicité » d’Alain Gomis est une femme forte, indépendante, chanteuse de bar
reconnue à Kinshasa ; son fils doit être opéré après un accident de moto et elle doit trouver de toute urgence l’argent nécessaire pour financer l’opération et les soins, comme c’est trop souvent le cas dans les hôpitaux,
même publics dans cette région du monde. Une vraie tranche de vraie vie de vrais gens. Du cinéma social africain, puissant et rythmé.

Le film a la puissance et le charme de Félicité, et l’énergie magique et déjantée de Kin. Même les scènes d’ivresse dépassées y gardent de la tendresse.
Il montre aussi de façon réaliste le fonctionnement d’un hôpital dans une ville comme Kinshasa et, bien au-delà, comment l’essentiel des populations de ces villes doit se battre pour survivre…

« Jusqu’à la fin des temps » de Yasmine Chouikh raconte une Algérie toute en nuances, une histoire sur la recherche du bonheur malgré les conventions sociales, sur la situation des femmes, sur le poids et le statut de la religion, et très accessoirement, sur la tentation de privatisation de services publics…
L’histoire se passe dans un village dont l’activité est l’accueil de pèlerins venus visiter le cimetière sans doute un symbole de l’avenir de l’Algérie. Joher, une veuve venue se pencher sur la tombe de sa sœur, se lie à Ali, le fossoyeur ; leurs échanges et les anecdotes de la vie du village sont autant d’allusions à la situation de la société algérienne : le patriarcat familial, l’indépendance progressive des femmes , la tentation néo-libérale avec un projet de privatisation des rites funéraires… C’est charmant, tendre et joyeux mais discrètement subversif…

Avec « Satin rouge », Raja Amari nous raconte la renaissance à la volupté d’une femme qui se croyait « rangée » : Lilia, une jolie veuve, gentille bourgeoise, se transforme en danseuse de cabaret orientale, en cachette de son entourage. Hiam Abbass (Lilia) est superbe, avec son regard transperçant, ses sourires gourmands, son allure et la volupté de ses mouvements dès qu’elle entend de la musique. Raja Amari filme magnifiquement la danse ; sa caméra suit le mouvement des danseurs, y
entraînant les spectateurs. Ce film est assez ancien (2002), mais il n’a pas vieilli.

La présence de Raja Amari à l’édition 2017 reste dans la mémoire des festivaliers ; parmi les œuvres qu’elle nous avait présentées alors, deux autres films font partie des 30 films retenus par les festivaliers : « Les Secrets », un drame de la réclusion dans une maison étrange, un décor d’un bleu magique, et « Printemps tunisien », les choix de vie très différents de trois amis à quelques semaines de la chute de Ben Ali.

« La porte du soleil » de Yousri Nasrallah est une magnifique saga palestinienne de 1948 au début des années 2000 ; la vraie vie des vrais gens, leurs attentes, leurs impatiences, leurs désespoirs, sur plusieurs générations…

Un film incontournable pour tous ceux qui essayent de comprendre les origines du problème palestinien. Long (4 h 38) mais prenant.

Fort heureusement, Yousri Nasrallah ne cherche pas à paraître objectif, mais il n’est tendre avec personnes, surtout pas avec les politiques, quel que soit leur bord. Il l’a été encore moins au cours des débats passionnants que nous avions pu avoir avec lui en 2016. Deux autres films qu’il nous avait présentés cette année-là font partie des « meilleurs choix » des festivaliers : « Le Ruisseau, le pré vert et le doux visage » qui nous plonge dans une Égypte voluptueuse et gourmande à l’occasion d’une noce campagnarde, et « Femmes du Caire », un « Shéhérazade » féministe traversant les nombreuses fractures de la société égyptienne, et , .

Les sept autres films du « top 10 » sont « C’est eux les chiens », « Hope », « Maintenant ils peuvent venir », « Soleils », « Tant qu’on vit » et « Yaaba ».

Pour ceux qui ont vu « C’est eux les chiens » du marocain Hicham Lasri, un stabilisateur de vélo, seul et dépareillé a presque la valeur d’un totem, symbole d’amour paternel, d’une amnésie qui n’oublie pas tout, et d’une misérable résistance à la répression politique aveugle.
L’histoire est belle et triste, commence comme un conte, mais s’avère être un pamphlet politique : vers 2010, une équipe de tournage de la télévision tombe sur un étrange personnage, Majhoul, semble-t-il amnésique. On comprend progressivement qu’il est une victime du système répressif marocain des années 80. Chaotique, déjanté, plein d’humour sur un sujet grave ; belles images fugaces immédiatement interrompues par les parti-pris de l’auteur de nous faire partager l’inconfort mental de Majhoul. Jolie et triste chute.

Avec « Hope », Boris Lojkine nous entraîne dans le périple transsaharien d’un groupe de migrants. Un jeune camerounais épaule une nigériane, Hope. Leurs relations pendant le reste du voyage hésitent entre solidarité, exploitation et amour. Profonde et troublante docu-fiction, produit d’une démarche de documentariste (on pense à  »Bilal sur la route des clandestins »), et d’enquêtes à la rencontre de migrants au Maroc, dans les  »ghettos » où ils se regroupent par origine.

Les acteurs, des migrants recrutés au Maroc, pendant leur propre périple, sont excellents. Ils parlent leurs propres langages, entre langue traditionnelle d’origine, français métissé ou pidgin. Deux questions s’imposent après ce film : qu’est devenue Endurance Newton, la migrante qui joue Hope dans le film ? Comment se construit la décision de ces migrants de se lancer dans ce périple (la dernière grande aventure humaine, plus incertaine que les voyages spatiaux) vers une Europe sans doute largement fantasmée ?

« Maintenant ils peuvent venir » de Salem Brahimi nous ramène à Alger, à la fin des années 1980 ; le socialisme est un rêve ancien qui finit de partir en miettes et les barbus du FIS sont de plus en plus pesants. À travers les yeux d’un cadre d’une entreprise d’État nous constatons d’abord une aggravation de la déconfiture économique, parallèlement la montée progressive de la terreur, perçue de façon très intime, et la décomposition de sa vie familiale.
Avec sobriété et peu de scènes violentes, Salem Brahimi parvient à nous faire ressentir de façon réaliste la menace permanente de la sauvagerie telle qu’elle était subie par la population.
Seul bémol, la chute qui se veut sans doute symbolique, mais « Maintenant ils peuvent venir » gardera une grande valeur historique.

« Soleils » de Olivier Delahaye et Dani Kouyaté est un  »objet » cinématographique très particulier, un très riche et joli voyage dans le temps et l’espace à la rencontre de l’Afrique, de ses mythes et des visions qu’on en a et qu’on en a eues au fil du temps. Le film est très plaisant même si sa forme peut déconcerter : le propos est assez directement exprimé par les acteurs, dans une sorte de conférence poétique, bien rythmée. Les « soleils » que nous fait rencontrer ce road-movie à travers le temps et sont les penseurs qui ont fait l’Afrique, depuis la Charte du Mandé qui a défini les droits de l’homme un demi millénaire avant les « nôtres » ; le film les confrontent à l’européano-centrisme coupable de nos philosophes.

« Tant qu’on vit » (« Medan vi Lever » en suédois) est un de ces excellents films que l’on a pu voir à Visions d’Afrique mais qui n’ont pas eu d’existence commerciale en France. Dani Kouyaté, burkinabé installé en Suède depuis 10 ans, nous parle avec charme et précision de métissage, de la façon dont, dans une famille aux références culturelles multiples, les individus se construisent et évoluent. Issu d’une lignée de griots, il excelle aussi à évoquer ce que la musique peut parfois produire, mais aussi les préjugés sociaux qui y sont souvent liés. Quand il nous raconte tout ça à travers le regard lumineux de l’actrice anglaise Josette Bushell Mingo, il a gagné !

« Yaaba » de Idrissa Ouédraogo date de 1989 et est l’un des « classiques »du cinéma africain que Visions d’Afrique a tenu à honorer. Il nous conte l’amitié complice que deux gamins nouent avec une vieille sorcière misérable, mise au ban du village. Ces trois personnages sont magnifiques.
Idrissa Ouédraogo donne une vision souriante et douce de l’Afrique, loin des clichés misérabilistes ou violents. Il a su aussi, avec le peu de moyens dont il disposait, montrer  »de l’intérieur » la vie du village grâce notamment à quelques uns de ses acteurs préférés. Un classique incontournable !

Les réalisateurs

Les dix réalisateurs dont les films ont été le plus souvent mentionnés par les festivaleirs sont, dans l’ordre :

1) ex-aequo : Maryam Touzani, pour le film Adam, Wanuri Kahiu pour Rafiki, Raja Amari pour « Satin rouge », « Les secrets » et « Printemps tunisien » et Yousri Nasrallah pour « La porte du soleil », « Femmes du Caire, et « Le ruisseau, le pré vert et le doux visage »
5) viennent ensuite Dani Kouyaté pour « Tant qu’on vit » et « Soleils », et Mounia Meddour pour « Papicha »,
7) puis Alain Gomis pour « Félicité » et « Aujourd’hui »
8) AB Shawsky pour « Yomeddine », et Yasmine Chouikh pour « Jusqu’à la fin des temps ». 10) et Boris Lojkine pour « Hope ».

La diffusion commerciale des films vus

Un des rôles d’un festival comme Visions d’Afrique est de nous faire découvrir des œuvres « rares » et il est assez normal d’y voir des films dont la diffusion reste limitée voire confidentielle.

Il faut noter cependant que, au fil des années, les films africains ont une bien meilleure diffusion commerciale en salle.
Ainsi assez récemment « Atlantique » de Mati Diop, « Papicha » de Mounia Meddour, « Adam » de Maryam Touzani ou « Lamb » de Yared Zeleke ont eu un succès significatif sur les écrans français. Ceci concerne proportionnellement davantage les films maghrébins, notamment marocains, du fait d’un système efficace d’avance sur recettes.

A l’opposé, même en cette triste période où les salles sont fermées, il est troublant, voire triste de constater que nombre des « bons films » que nous y avons vus n’ont eu, jusqu’à présent, qu’une « vie commerciale » des plus limitées, très loin de leurs mérites.

Parmi les 59 films qui ont le plus retenu l’intérêt des festivaliers, trois n’ont eu aucune « vie commerciale » en France. Nous avons choisi de les saluer de façon spécifique ici.

Parmi eux, « Tant qu’on vit » de Dani Kouyaté, projeté en 2017. Dani Kouyaté a pris la peine de faire une version française de son film suédois « Medan vi lever » de 2016, qui n’a pas encore trouvé de circuit de distribution.

« La 5ème corde » de Selma Bargach, projeté en 2012, nous racontait quant à lui la passion d’un jeune de 18 ans pour la musique traditionnelle et le luth, et sa quête de Casablanca vers Tanger et Essaouira, entre le respect des canons traditionnels et la création, nécessairement novatrice. Très belles références, notamment cinématographiques, sur les traces d’Orson Welles à Mogador. Ce film a été primé au Festival du cinéma africain de Khouribga en 2011, mais n’a pas eu depuis lors une « existence commerciale » visible.

« Our Madness » de João Viana, un film noir et blanc, onirique et ésotérique comme on n’en fait plus, au milieu de superbes ruines de fortification et d’églises de l’île de Mozambique, quatre femmes jouant de la musique sur un sommier métallique comme sur une harpe, un sommier et un matelas transformés en avion de rêve, une une salle de cinéma occupée par des chèvres…