Geoffrey, en conflit avec son environnement social et en guerre contre ses démons intérieurs, est renvoyé dans son village natal après avoir été libéré de prison. Ancien professeur d’anglais, il est forcé de reconstruire sa vie et de se consacrer à des travaux manuels obligatoires qui lui sont étrangers, dans une communauté qu’il avait laissée derrière lui. Un beau personnage, torturé, piégé entre vulnérabilité et culpabilité.
Shimoni a obtenu l’Étalon de Bronze au Fespaco 2023 et le Grand Prix Sembène Ousmane du Festival international du cinéma africain de Khouribga (FICAK), 2023.
« Angela Wamai (réalisatrice) : Le titre Shimoni a de nombreuses significations en swahili, mais pour ce film, cela signifie spécifiquement « fosse ». Un trou dans lequel le personnage principal continue de tomber. Mais c’est aussi la ville fictive dans laquelle se déroule le film.
Justin Mirichii (acteur principal) : j’ai tout de suite compris, en rencontrant Angela Wamai, que j’allais faire un film assez profond, noir, dramatique, mais très humain. C’est ce qui m’a convaincu d’accepter ce rôle. (…) J’ai pris le processus étape par étape. Angela m’a fourni des films à regarder. Je n’en ai regardé que quelques-uns parce que je voulais que « Geoffrey » soit le plus authentique possible. J’ai perdu du poids et me suis rasé les cheveux. J’ai également dû m’éloigner de ma jeune famille pendant toute la durée du tournage. Quand j’ai commencé à comprendre l’isolement et la solitude de Geoffrey, j’ai su que j’étais prêt. C’est un homme désespéré, sans voix pour remédier à sa propre situation. »
Entretiens avec Angela Wamai et Justin Mirichii pour AfriCiné
Hauts plateaux du Burundi, de nos jours. Après la mort de son frère Matalusa, un mineur de coltan en fuite rencontre Neptune, une hacker intersexe. Réfugiés dans une zone pirate où sont recyclés des déchets électroniques, ils forment un collectif de cyberpirates anticolonialistes, dans l’espoir de renverser le régime autoritaire qui contrôle la région. De leur union va naître une déflagration cosmique, virtuelle et surpuissante.
« Avec ce nouveau film, le duo Saul Williams et Anisia Uzeyman réunit tous ses talents. Le chant et la danse viennent raconter l’histoire davantage que les dialogues, et font naître la poésie là où tout semble désespéré et désespérant. À l’image de Neptune, personnage non-binaire et véhicule d’énergie magique ou extraterrestre, l’esthétique du film déjoue nos repères classiques pour trouver d’autres voix et inventer une autre beauté. Parfois dépouillé, parfois flamboyant, Neptune Frost convoque la science-fiction là où on n’a pas l’habitude de la voir : dans le terrain boueux des mines de coltan en Afrique où les esclaves se font descendre pour peu qu’ils posent leur pelle deux minutes. Dès l’introduction, l’intention est claire : dénoncer l’horreur d’une exploitation qui n’émeut que trop rarement la communauté internationale.
Pourtant, le film n’a rien d’un quasi-documentaire déprimant sur une situation qui donnerait de bonnes raisons de déprimer. Au contraire : tout est fait pour donner espoir. Un chant ou une danse répondent à chaque acte de violence, et les couleurs d’un électronique fantasmé viennent éclairer la nuit africaine. Les personnages se réapproprient ce fameux coltan qui fait leur malheur pour inventer une énergie nouvelle, une technologie magique. »
Judith Beauvallet, Écran large
Le portrait d’une couturière de Douala, inspirée par l’histoire de la cousine de la réalisatrice et incarnée par cette dernière. Dans son petit atelier, Pierrette travaille sans relâche pour nourrir sa famille. Sous la pluie incessante, dans une maison régulièrement inondée, la mère courage se débat, à tout instant, pour ne pas sombrer. Sa couture lui rapporte une misère, sa machine à coudre se grippe, une agression nocturne la déleste de son argent, la rentrée scolaire se profile à l’horizon. Tout déborde dans une existence où il faut – au sens propre – écoper tous les jours les problèmes de la veille, et composer avec la communauté.
« Après quatre documentaires, c’est le premier film de fiction de la cinéaste camerounaise Rosine Mbakam. Mais elle connaît intimement la réalité qu’elle met en scène. « C’est ma mère, ce sont mes tantes », dit-elle. « Mambar Pierrette, le personnage principal, c’est ma cousine », glisse-t-elle. « Le film est inspiré de sa propre vie, j’ai eu envie de faire du cinéma en regardant des gens et avec Mambar Pierrette, je voulais mettre ces gens au centre du cinéma » ».
Âgée de 44 ans, Mambar Pierrette espère que sa combativité inspirera d’autres femmes. « Ce film permet d’encourager d’autres femmes, ne pas attendre trop de leur mari ou du père de leur enfant, aussi d’être battante. La femme peut tout faire », lance l’intéressée. Et tourner dans ce film l’a beaucoup aidée. « J’ai pu prendre une boutique au bord de la route et j’ai aussi changé de machine, j’ai acheté aussi les grosses machines industrielles, ça, c’est grâce au tournage », raconte-t-elle. Quelquefois le cinéma peut vraiment changer la vie. »
Sophie Torlotin, RFI
Dans les faubourgs populaires de Casablanca, Hassan et Issam, père et fils, vivent au jour le jour, enchaînant les petits trafics pour la pègre locale. Un soir, ils sont chargés de kidnapper un homme. Commence alors une longue nuit pleine de dangers et de poursuites à travers les bas-fonds de la ville et de sa banlieue…
Un thriller puissant sur fond de masculinité, de rapports à la religion et à l’autorité.
Les Meutes a obtenu le Prix du Jury dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2023.
« Ce que je ne voulais pas faire, c’était un film psychologique ou trop psychologique. J’avais envie qu’on ait une expérience physique. Quelque chose d’organique, de charnel. (…) Tout le travail qui a été fait, l’a été de façon très instinctive, très brute. C’est quelque chose qui s’est imprégnée dans le film et qui nous donne ce rapport très charnel avec l’histoire. (…) La masculinité est très présente dans le film. Même s’il y a beaucoup de choses qui se sont perdues à la traduction dans les sous-titres, les acteurs parlent de ça : être un homme, la virilité comme une qualité forcément positive. »
Kamal Lazraq interrogé par S. Forster, RFI 21/05/23
La vie d’Olfa, Tunisienne et mèvre de 4 filles, oscille entre ombre et lumière. Un jour, ses deux aînées disparaissent. Pour combler leur absence, la réalisatrice Kaouther Ben Hania convoque des actrices professionnelles et met en place un dispositif de cinéma hors du commun afin de lever le voile sur l’histoire d’Olfa et ses filles. Un voyage intime fait d’espoir, de rébellion, de violence, de transmission et de sororité qui va questionner le fondement même de nos sociétés.
Le film a obtenu ex-aequo le prix de l’Œil d’Or au festival de Cannes 2023.
Vous pensiez en faire une fiction ?
« Je suis passée par différentes étapes. Dans un premier temps, je me suis d’abord dit que j’allais filmer Olfa avec les deux filles qui lui restent pour exprimer l’absence des deux autres. J’ai commencé à les filmer en 2016 puis encore en 2017. Mais quelque chose ne marchait pas. Comment raviver les souvenirs sans les embellir, les transformer, sans se donner le beau rôle, sans édulcorer la vérité ? Comment réussir à convoquer ce qui a eu lieu et qui n’est plus là ? Comment affronter la vérité de son propre passé des années après ? Mais le plus problématique selon moi, c’est la façon dont Olfa jouait un rôle. À partir du moment où j’avais allumé ma caméra, elle s’est mise à jouer un rôle. J’ai dû arrêter le tournage, car j’ai fini par comprendre que j’allais tomber dans le piège qu’elle me tendait.
Olfa avait été formatée par les journalistes. Elle jouait – avec un grand talent de tragédienne – le rôle de la mère éplorée, hystérique, accablée de culpabilité. La plupart de ces reportages n’autorise pas à explorer les différentes dimensions d’un individu… Or, creuser les contradictions, les sensations, les émotions demande un temps que les journalistes n’ont pas. C’est le rôle du cinéma d’aller explorer ces zones-là, ces ambiguïtés de l’âme humaine. »
Extrait du dossier de presse : question à Kaouther Ben Hania
Algérie, 1516. Le pirate Aroudj Barberousse libère Alger de la tyrannie des Espagnols et prend le pouvoir sur le royaume. Selon la rumeur, il aurait assassiné le roi Salim Toumi malgré leur alliance. Contre toute attente, une femme va lui tenir tête : la reine Zaphira. Entre histoire et légende, le parcours de cette femme raconte un combat, des bouleversements personnels et politiques endurés pour le bien d’Alger.
Comment est né votre film La Dernière Reine ?
« La découverte au travers d’un livre sur l’Algérie et ses personnages célèbres de Zaphira, l’épouse d’un roi, dont l’histoire oscillait entre légende et réalité. Très vite je me suis aperçue que ce personnage fut contesté puis soutenu à travers les siècles par historiens et chroniqueurs. À chaque fois qu’il est question d’elle, il y a un immense désir mêlé d’une remise en question de son existence. Je me suis intéressée à ce “nœud” comme une possibilité de faire surgir la question de l’effacement des femmes dans l’Histoire et la force d’évocation de la légende à une époque cruciale et jamais représentée de l’histoire d’Alger. Qu’elle soit légende ou réalité, cette femme continue de marquer l’imaginaire des Algériens… »
Dossier de presse, entretien avec Adila Bendimerad
«Rarement un film algérien aura autant embrassé les nœuds de l’histoire, tant intime que politique, au cœur d’une fresque majestueuse, où la douleur relève de la beauté. D’une ampleur romanesque inouïe, où l’éclat du classicisme côtoie, parfois dans la même scène, le même plan, la modernité la plus aiguisée, La Dernière Reine d’Adila Bendimerad et Damien Ounouri est surtout une œuvre en résonance profonde avec ce qui se joue actuellement en Algérie, mais aussi pour tout un chacun travaillé par la question de l’engagement. »
Nadia Meflah, Bande à part
Ali, un jeune Tunisien rêvant d’une vie meilleure, vit seul en vendant de l’essence de contrebande au marché noir. À la mort de leur père, il se retrouve responsable de ses deux sœurs cadettes, livrées à elles-mêmes et menacées d’expulsion de la maison familiale. Face à cette situation et aux injustices auxquelles il est confronté, Ali s’éveille à la colère et à la révolte. Celle d’une génération qui, plus de dix ans après la révolution, essaie toujours de se faire entendre…
Le comédien Adam Bessa, interprète du rôle d’Ali, a obtenu un Prix d’interprétation dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes 2022.
« Le film a été tourné à Sidi Bouzid, la petite ville tunisienne d’où est parti le Printemps arabe, le 17 décembre 2010, avec l’immolation de Mohamed Bouazizi, marchand ambulant, devant le siège du gouvernorat. Plus de 10 ans après, que reste-t-il de ces moments d’espoir pour des populations vivant chichement, entourées par l’injustice et la corruption ? Pas grand chose, semble-t-il, et c’est ce que nous montre Harka ! Harka, un mot arabe qui (…) signifie “brûler” mais désigne aussi, en argot tunisien, un migrant qui traverse illégalement la Méditerranée en bateau. Deux significations qui collent parfaitement avec le film : d’un côté, une histoire inspirée par Mohamed Bouazizi, de l’autre un personnage principal qui rêvait de partir vers l’Europe. »
Jean-Jacques Corrio, pour critique-film.fr
En 2010, à la veille de la partition du Soudan, Mona, ex-vedette de la chanson nord-soudanaise, cause indirectement la mort d’un Sud-Soudanais. Se sentant coupable, elle engage Julia, sa jeune femme, comme domestique. Une étrange amitié va lier la riche Soudanaise musulmane du Nord, à la jeune Soudanaise chrétienne du Sud, au gré de l’évolution de la situation politique.
Goodbye Julia a obtenu le Prix de la Liberté dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2023.
« La première chose qui m’a motivé à écrire a été le résultat du référendum : en 2011, lors du référendum sur l’indépendance du Soudan du Sud, près de 99 % des électeurs se sont prononcés en faveur de la sécession. Pour moi, ce fut comme une révélation (…). Il est impensable qu’une nation entière veuille faire sécession. Après avoir réfléchi, le problème était clair : le racisme entre le nord et le sud du pays (…). Le Soudan souffre de tribalisme, de racisme et de préjugés, et de toutes sortes de choses qui éloignent les gens les uns des autres et ne les rapprochent pas. (…).
Le film évoque aussi le patriarcat dans ma société (…). Bien qu’il y ait un aspect personnel, le film était aussi une tentative de réveiller les Soudanais avant qu’une autre guerre n’éclate. Peut-être que je suis arrivé un peu trop tard, car la guerre a déjà éclaté… Mais c’est pour cela que j’ai fait ce film. »
Mohamed Kordofani interrogé par S. Forster, RFI 20/05/23
Le film retrace le parcours de Fatima, une fille âgée d’une dizaine d’année, kidnappée par des terroristes et embrigadée pour commettre sa première et unique opération kamikaze.Déposée sur le marché d’un village, elle porte une ceinture d’explosifs minutée à 10 minutes pour tuer les ennemis de Dieu. Mais s’est sans compter avec la force mentale de la jeune fille, d’autant queFatima réalise qu’elle est dans son village, sur le marché même où sa mère vend.
Le film a l’allure d’une enquête policière avec beaucoup de suspense, et tout est minutieusement conduit. Les images, le son et le rythme participent pleinement au récit filmique. A travers son récit, la réalisatrice interroge la société sur sa responsabilité face aux enjeux du vivre ensemble dans la tolérance. Elle pose surtout la question de l’engagement pour la liberté, du choix à s’autodéterminer, même dans les moments difficiles.
Le film a obtenu une mention dans la catégorie courts-métrages de fiction et quatre prix spéciaux au Fespaco 2023.
L’Envoyée de Dieu est un film de conscientisation d’une grande portée morale. Amina Abdoulaye Mamani a réalisé un film sur une thématique très actuelle, le terrorisme qui s’étend de manière progressive dans les pays du Sahel avec son lot de déplacés, de désolation, de pillages. Une situation qui crée aussi un climat de méfiance et de défiance entre les communautés et les pouvoirs. Mais où sont donc les États africains?
Nous sommes en octobre, c’est la fin de la saison des pluies au Fouta, une région isolée au nord du Sénégal. Astel, treize ans, accompagne tous les jours son père dans la brousse. Ensemble, ils s’occupent de leur troupeau de vaches. Mais un jour, en plein désert, la rencontre entre la jeune fille et un berger vient bouleverser le quotidien paisible entre Astel et son père.
Les questionnements d’une jeune fille sur l’attitude de son père qui décide de lui faire comprendre que, devenue une femme, sa place reste auprès des femmes. La pudeur est de mise dans la société peule où père et fille n’abordent pas ensemble des sujets jugés tabous. Bien nouer son pagne,par exemple,n’est pas seulement paraître correcte, mais signifieaussi l’abstinence jusqu’au mariage. C’est ainsi avec une grande économie de dialogues qu’Astelaborde le patriarcat, l’amour, le respect, l’éducation et la sororité.
La tradition contre la passion ? Le poids social qui pèse sur la femme sera difficile àporter dans un monde émancipé. Femmes, devrons-nous nous résigner ou être responsables et libres de nos choix ?
Mbaye Laye Mbengue, Ramatoulaye Sy, Babacar Sy Sèye, AfriCiné