Bilan de la 13° édition

RETOUR SUR UNE SUPERBE SEMAINE CINÉMATOGRAPHIQUE AFRICAINE À OLÉRON

VISIONS D’AFRIQUE ET LA RÉSILIENCE DU CINÉPHILE

Visions d’Afrique, pour sa 13ème édition, a rassuré les craintes et dépassé tous les espoirs.
La pénurie de carburants (rappelez-vous) n’a en effet pas réussi à décourager les festivaliers, bien au contraire.

En 2020, le festival avait subi la crise sanitaire, avec une baisse d’un quart de la fréquentation. En 2021, une reprise modeste de 10 % laissait craindre que les cinéphiles avaient profondément modifié, avec la crise sanitaire, leurs « habitudes de consommation ».

2022 montre que, même si cela reste partiellement vrai, un festival comme Visions d’Afrique peut ré attirer les cinéphiles vers les salles : la fréquentation « grand public », avec 2 176 entrées, a progressé de 28%, dépassant le « record » de 2019.

En tenant compte des « scolaires », le festival a atteint 3 000 entrées.

Les ingrédients du succès étaient en fait bien là : une programmation variée et de belle qualité, des invités passionnés et passionnants, accessibles et convaincants, et une ambiance chaleureuse, favorisée par l’accueil des bénévoles du LOCAL1 et par le cadre.

Comme l’a dit le barde « Un point précis dans l’Atlantique, Pour un festival éclectique, À Oléron exactement, Pas à coté, pas n’importe où, À Oléron exactement, Quelle est puissante cette équipe… »

1 – L’association « Lien Oléronnais pour la Culture, l’Animation et les Loisirs », qui gère les cinéma de l’Eldorado et de l’Estran.

OLÉRON N’EST PAS CANNES,
TANT MIEUX…

Point ici de foule se pressant autour d’un tapis rouge, mais des amateurs de cinéma et de littérature qui veulent et savent profiter aussi de la vraie vie.

À cette période de l’année, les visiteurs qui profitent à raison des vacances de la Toussaint sont encore nombreux, mais Oléron offre aux festivaliers un cadre presque intime, où tout est proche et vite familier, une « unicité de lieu » entre salles obscures, plages et terrasses.

Grace à l’initiative des bénévoles du LOCAL, les festivaliers avaient la possibilité de dîner sur place à l’Eldorado entre deux séances ; ceci a bien sûr facilité la fréquentation des séances de fin d’après midi et de soirée, mais, surtout a permis de superbes moments de partage entre les spectateurs et les invités.

Le temps, encore une fois clément, a aussi permis aux cinéphiles de joindre l’agréable à l’agréable, de prendre entre deux séances de cinéma des récréations de jolies promenades ensoleillées voire de dégustations en terrasse de friture d’éperlan, d’huîtres, de moules et de pineau et de tous les délicieux produits de la région, en recroisant souvent d’autres spectateurs déjà croisés à l’Eldorado ou à l’Estran.

LES INVITÉS ET LEURS INTERVENTIONS

Mehdi Charef

Mehdi Charef, l’auteur de huit livres (Rue des pâquerettes, La Cité de mon Père etc.) et réalisateur de neuf films, a présenté son film majeur Le Thé au harem d’Archimède, qui évoque la vie d’une famille d’immigrés algériens dans cité HLM du « 93 » dans les années 1980. Tout en sensibilité, Mehdi Charef a montré aux spectateurs son investissement affectif dans l’écriture du film, notamment concernant le personnage de la mère de famille, inspiré de sa propre mère. Il a aussi fait partager, modestement et de façon parfois amusante, l’aventure qu’a été sa réalisation, alors qu’il était encore néophyte en la matière.

De beaux moments de partage plein d’émotion, Mehdi Charef en a aussi offert, aux cotés de Bernard Magnier, au public des médiathèques de Marennes (45 personnes) , de St Georges (6) et de St Pierre (15), puis devant le public de l’Eldorado.

Même dans ses interventions auprès des élèves des collégiens de Marennes, du Château et de St Agnant, il a encore accepté de partager, de façon parfois douloureuse, ses sentiments, ses angoisses et ses passions. Une belle générosité et de belles leçons d’humanité !

Corinne Fleury

Corinne Fleury, une autrice-éditrice née à l’Île Maurice, spécialisée dans la « littérature jeunesse » a rencontré des élèves des écoles primaires de St Pierre, de St Denis, de St Georges et de Marennes, avec des lectures de deux de ses albums Grand- Mama, et Le dodo aux plumes d’or. Partant de ce dernier livre qui relate la disparition de cet oiseau à la fin du XVIIe siècle, elle s’est attachée à sensibiliser son jeune public à la protection de la biodiversité, un message bien reçu, qui sera certainement retransmis aux adultes.

Au cours de l’entretien traditionnel organisé autour de Bernard Magnier devant le public de l’Eldorado, Corinne Fleury a raconté sa propre histoire et son partage à la fois culturel et professionnel entre la France et Maurice. Un riche parcours !

Thierry Michel

Thierry Michel et sa productrice Christine Pireaux présentaient leur dernier documentaire sur la République Démocratique du Congo, L’Empire du silence. Après son précédent documentaire L’homme qui répare les femmes consacré aux victimes de viol et au docteur Denis Mukwege, Thierry Michel y reprend l’historique des conflits et des violences qui règnent dans ce pays depuis plus de 25 ans. Dur mais nécessaire, prenant, ce film montre combien il est indispensable qu’une réelle justice passe après des violences comme celles que traverse la région.

Thierry Michel, qui a réalisé plus de dix films sur la République Démocratique du Congo, est passionné et, bien sûr, passionnant. Manifestement heureux des partages les festivaliers, Thierry Michel et Christine Pireaux pourraient fort bien revenir à Oléron…

Ismaël El Iraki

Ismaël El Iraki nous a présenté, en avant-première, son premier film Burning Casablanca ( Zanka contact), un bel hymne, très rock, à l’amour romantique, parfois destructeur. Le rythme de thriller, parfois violent, inspiré des western spaghettis a entraîné les spectateurs, même ceux qui, avant la séance, étaient encore rétifs au rock- métal. Un premier film très prometteur ; les festivaliers sont impatients de voir le prochain et, par là, de retrouver Ismaël El Iraki, sa belle générosité et sa vitalité.

L’homme a plus d’une corde à son arc, avec notamment une société de captation de concert … de rock-métal. À noter qu’il a bien voulu, au débotté, participer à l’animation des échanges sur La Conspiration du Caire, les enrichissant de son propre point de vue culturel. Merci à lui !

L’HOMMAGE À YOUSSEF CHAHINE

En 12 éditions, Visions d’Afrique n’avait jamais projeté de films de Youssef Chahine, pourtant unanimement considéré comme l’un des plus importants cinéastes africains. Un hommage a donc été rendu à ce réalisateur égyptien, mort en 2008 avec 41 films à son actif.

Deux de ses films 2 ont été projetés.

Gare Centrale (1958) raconte le drame éternel des amours impossibles, dans le cadre particulier des coulisses d’une grande gare. Ce film néo-réaliste mais aussi proche des films noirs américains, donne surtout une image forte du monde particulier mais emblématique des travailleurs d’une grande gare, assignés sur place par leur métier souvent misérable quand les nantis, eux, voyagent et ne font que passer. Un film fort, intemporel malgré le charme suranné de certaines scènes.

Le Destin (1997) nous ramène au XIIe en Andalousie, à la rencontre du philosophe Averroes qui se heurte déjà à des intégristes qui ordonnent l’autodafé de ses ouvrages. Les tentatives dangereuses des « politiques » pour instrumentaliser les intégristes, l’importance de la science et la tolérance qui vont de pair, la joie de vivre, la danse et la musique face au fanatisme religieux, tout y est dit, et fort bien ! Youssef Chahine n’hésite pas à montrer la « complicité objective », à l’époque, entre inquisiteurs et islamistes intégristes.

Ces deux films ont été présentés et commentés par une nouvelle venue à Visions d’Afrique, Emna Mrabet, une spécialiste du cinéma arabe. Ses éclairages ont été très précieux, notamment aux élèves des classes « cinéma » du lycée Merleau Ponty de Rochefort, qui se sont joints au public de la projection à l’Eldorado.

LES AUTRES FILMS

La conspiration du Caire, de Tarik Saleh, projeté en avant-première a emporté, sur un rythme de thriller, les spectateurs au sein du centre de la théologie sunnite, l’université Al-Azhar, et de l’éternelle bataille du sabre et du goupillon, de la raison d’État contre la morale humaine et divine, le pouvoir des « services »… Passionnant ! Ismaël El Iraki a bien voulu participer, au débotté, à l’animation des échanges sur ce film, les enrichissant de son propre point de vue culturel. Merci à lui !

Le Bleu du Caftan était aussi présenté en avant-première. Beaucoup gardaient en mémoire le précédent film de la marocaine Maryam Touzani, Adam qui avait été projeté à Visions d’Afrique en 2019. Ce nouveau film tient ses promesses, avec un sujet sensible mêlant homosexualité maladie, mort et fardeau des tradition, au sein d’un couple uni notamment autour d’un atelier de tailleur. Beaucoup de délicatesse dans ce récit.

Leur Algérie, un documentaire familial de Lina Soualem, a emmené les spectateurs dans l’intimité de Mabrouk et Aïcha Soualem venus d’Algérie, pour vivre à Thiers, en Auvergne, depuis plus de 60 ans, de leurs enfants (dont l’acteur Zinedine Soualem) et petits-enfants (dont Lina). Nous sommes vite attachés à ces « caractères », entre le grand-père taiseux comme un sphinx et les émotions cachées sous des fous-rires de la grand-mère. Elle nous livre aussi les traces intimes de l’Histoire, de la guerre et de l’immigration. Ce film fait très joliment écho à ce que nous a décrit Mehdi Charef, sans doute de 10 ans le cadet de Mabrouk.

Avec L’automne des pommiers, le marocain Mohamed Mouftakir livre le drame d’un gamin que sa famille laisse ignorer l’identité de son père, dans un huis-clos rural refermé. Un film de ce genre trouve toute sa mesure dans un festival comme Visions d’Afrique, en conduisant les spectateurs à échanger, bien après la séance, les clés de lecture qu’ils en ont trouvé…

Communion de Nejib Belkadhi, décrit la dérive obsessionnelle d’un couple tunisien très aisé face au confinement. un film en noir et blanc esthétiquement réussi dans son appartement cosy de La Marsa.

Marcher sur l’eau, superbe documentaire de Aïssa Maïga, raconte la vie d’un village du Niger. Les images, prises tout au long d’une année entière, montrent avec acuité les enjeux de l’installation d’un forage dans le village.

Aya, autre documentaire environnemental, a conduit les spectateurs dans un village ivoirien construit sur le cordon littoral entre lagune et océan. Son réalisateur, Simon Coulibaly Gillard a su montrer la menace irréversible de la montée des eaux sur la vie même de ce village.

Avec Twist à Bamako de Robert Guédiguian, les festivaliers ont voyagé dans le temps pour vivre les premières heures de l’indépendance du Mali, entre tradition, idéalisme socialiste, rêve de progrès matériel et de « modernité » culturelle. Au plan esthétique, le film renvoie au fameux photographe malien Seydou Keïta et … au rock du début des 60. Très plaisant !

Les trois lascars de Boubakar Diallo, rarement projeté en France, est une comédie, qui « fait un carton » en Afrique de l’Ouest et plus spécifiquement au Burkina, son pays d’origine. Intéressant de rencontrer un film francophone, dont la réalisation, très « léchée » qui s’apparente au Nollywood nigérian.

Ashkal de Youssef Chebbi, a emmené les spectateurs dans les ruines du chantier abandonné de ce qui devait être une résidence de luxe des caciques du régime Ben Ali, en Tunisie. Une épidémie de suicides par le feu semble s’y développer 10 ans après l’immolation de Mohamed Bouazizi, en décembre 2010. Un polar étrange, assez dur.

Avec Bendskins de Narcisse Wandji, les spectateurs ont suivi dans leur travail et leurs histoires trois chauffeurs de motos-taxis à Yaoundé. Même si leurs trois récits sont parfois dramatiques, le ton du film, les scènes cocasses et les dialogues fleuris ont réjoui beaucoup d’amoureux de cette Afrique urbaine, pleine d’inventivité. Ils se rappelleront sans doute avec plaisir l’apostrophe à un homme mûr qui a oublié ses propres frasques de jeunesse : « ta mémoire est un peu allée jouer au ballon », et celle adressée à une jolie fille sexy : « ton genre de beauté se mange seulement avec l’oignon »…

Deux films musicaux ont complété cette riche programmation.

The Rumba kings de Alan Brain est tout à la fois un récit sur l’histoire du Congo-Kin et un récital de musique. Les origines de la rumba, avec une alternance d’archives très dansantes et d’entretiens avec des anciens.

Suivait Tonton Manu, le documentaire de Thierry Dechilly et Patrick Puzenat, sur Manu Dibango, un superbe road-movie musical, qui finit, magnifique contrepoint au film précédent par « Indépendance Cha Cha ». Jouissif !

LES PRÉSENTATIONS DE FILMS AUX SCOLAIRES

La petite vendeuse de Soleil du sénégalais Djibril Diop Mambety, un grand classique, a été projeté à 252 élèves des écoles primaires de Marennes, La Tremblade, St Trojan, St Pierre et St Georges. Il était étonnant de voir comment, malgré le sous-titrage, les enfants ont compris l’histoire, et se sont attachés à Sili, cette très jeune handicapée misérable mais pleine de charme et de dynamisme. C’était un privilège que d’assister à ces séances.

Mica de Ismaël Ferroukhi, une charmante fable sociale racontant comment un jeune marocain sort de la misère grâce au tennis et à une jolie monitrice, a été présenté à 530 collégiens (St Agnant, Marennes, Le Château). Ce film a aussi fait l’objet d’une projection destinée au club de tennis…

Selon un schéma bien établi au fil des ans, Emna Mrabet, l’animatrice experte en cinéma arable, était allée échanger avec les élèves des classes « cinéma » du lycée Merleau-Ponty de Rochefort sur le film Le Destin de Youssef Chahine, le vendredi 21 au matin. 42 de ces élèves ont ensuite assisté à la projection publique du film à l’Eldorado.

LE CONCERT

Lass

Le Service culturel de la Mairie de St Pierre d’Oléron avait superbement fait les choses en invitant le chanteur sénégalais Lass pour ambiancer, avec son groupe, la soirée du 22 octobre.

Une voix souple mais puissante, nourrie de rumba, de reggae, d’afropop et d’électro, mais conservant la couleur d’une voix de tête propre à sa région d’origine. Un beau cadeau. Le cinéaste Ismaël El Iraki, au premier rang des spectateurs ne le niera pas ; il faisait lui-même quasiment partie du spectacle.

Encore une fois, écoutons le barde

Un point précis dans l'Atlantique
Gérard a des visions d'Afrique
Pour un festival éclectique
À Oléron exactement
pas à coté, pas n'importe où
À Oléron, à Oléron exactement
Assurément
Quelle est puissante cette équipe
l’association et toute sa clique
nous font des choix très artistiques
Merci pour ce temps pacifique.

MERCI EN EFFET À TOUS CEUX
QUI ONT RENDU POSSIBLE CE FESTIVAL
ET ONT CONCOURU À SON SUCCÈS :

Les équipes d’Afriques en Scène et du Lien Oléronnais pour la Culture, l’Animation et les Loisirs, Gérard La Cognata, Robert Veillerot, Philippe Chagneau, Caroline Joyeux, Yvonnic Wahl,
Marie-Béatrice Samzun, Catherine Desjeux, Michelle Boucabeille, Sophie Lesort-Pajot, Urwana Lacroux, Odile Motel et Xavier Blanchard,

Les bénévoles du L.O.C.A.L. qui ont assuré le transport des invités et la restauration dans le hall des salles de cinéma,

pour Marennes (L’Estran) :
Liliane et Wilfrid, Bruno, Jacques, Michelle, Christophe, Françoise, Léa, Jean-Loup, Christian, Françoise, Giselle, Lucie, Marie-Béatrice et Marie-Paule,

pour Oléron (Eldorado) :
Thyde, Sabine, Pascale, Catherine, Alain, Claudine, Marie-Christine, Dominique,
Nathalie, Nadine, Patrice, Fadila, Eliette, Agathe, Corine et Robert,

Nos chers experts qui ont animé les débats
Catherine Ruelle, Thierno Dia Ibrahima et Emna Mrabet pour le cinéma, Bernard Magnier pour les rencontres littéraires,

Nos invités, pour la qualité de leurs œuvres, leur engagement et leur disponibilité
Mehdi Charef, Thierry Michel, Christine Pireaux, Ismaël El Iraki, Corinne Fleury,

Les Communes de St Pierre et de Marennes-Hiers-Brouage, les Communautés de communes de l’île d’Oléron, et du Bassin de Marennes le Départerment de la Charente Maritime et la Région Nouvelle-Aquitaine pour leurs contributions sans lesquelles rien n’aurait été possible.

Vivement VISIONS D’AFRIQUE 2023, du 18 au 24 octobre !

Xavier Blanchard